Être.
Seulement être là, avec elle. Ne plus savoir ce qu’on sait. Ne plus avoir la
conscience du temps. Seulement être là, avec elle. Entendre chaque bruissement
qu’un corps peut émettre : entendre l’eau se frayer un chemin dans la
gorge, entendre les doigts qui grattent le dessus de la main ou la tête,
entendre la respiration, entendre les yeux s’ouvrir et se fermer. Voir et
entendre tout sur son propre corps aussi. Être dans le silence et dans chaque
seconde. Tout autour porte plus d’éclat ou en perd, le regard s’attarde à
l’authentique.
Je la regarde et je pense à ce qui
m’accompagnera longtemps après. Après. Avec la mort, il y a toujours un avant
et un après. Le pendant de la mort est absent ou éphémère; il s’envole en
quelques secondes et c’est à ce moment que l’on passe de l’existence au
souvenir. Après, il est difficile de se rappeler que les souvenirs aussi ont eu
leur existence, qu’ils en ont fait partie.
Je croyais être immunisée contre la mort.
Parce que j’y ai été confrontée tôt, j’avais la folle impression d’être un peu
protégée contre la fatalité. Comme si les obstacles et les drames se
calculaient et qu’on atteignait un quota de malheurs basé sur l’énormité ou la
charge des épreuves. Je me disais que débuter sa vie ainsi payait probablement
l’obscurité pour un long moment. Je me trompais et je me suis éveillée.
Voir la mort s’emparer subtilement de
quelqu’un nous pousse à chercher la vie tout autour. Mais je comprends que la
mort fait partie de la vie. Que l’une ne braque pas les armes contre l’autre,
mais que toutes deux s’accompagnent depuis toujours et pour toujours. Dans la
vie, l’idée de la mort nous oblige à ouvrir nos sens au maximum. Et dans la mort,
la vie nous fait sourire puisque la mort n’emporte que les corps, pas l’amour,
pas les souvenirs. D’ici là, être. Seulement être là, avec elle.